



Publié le
Lecture 12 mins
Hyperlaxité de l’enfant et de l’adolescent
Bertrand CHEVALLIER, Marlène JOURNEAUX, Centre de référence du Syndrome de Marfan, CHU Bichat (APHP) et Service de pédiatrie, CHU Ambroise-Paré (APHP), Université Paris Saclay

Hyperlaxité et hypermobilité sont fréquentes chez l’enfant, en particulier chez les plus jeunes entre 1 et 4 ans. Quelle démarche diagnostic suivre ? Quand rechercher une cause et notamment quand évoquer un syndrome d’Ehlers-Danlos ?
Les réponses de Bertrand Chevallier et de Marlène Journeaux (Boulogne-Billancourt).
Les termes hypermobilité, hyperlaxité, sont utilisés indifféremment par certains auteurs. L’hypermobilité traduit communément l’augmentation d’une amplitude articulaire physiologique, tandis que l’hyperlaxité traduit un mouvement excessif dans un plan de mobilité articulaire anormal. Une articulation peut être hypermobile sans être laxe. La laxité prédispose à l’instabilité d’une articulation donnée, tandis que l’hypermobilité généralisée (surtout si elle est combinée à une insuffisance musculaire ou pro-prioceptive) prédispose plutôt à des symptômes généraux tels que des arthralgies et/ou une fatigabilité. Épidémiologie L’ensemble des études ne portant que sur des enfants et adolescents, présumés sains (sans symptômes ou complications) font état d’une prévalence de 25 à 35 % de l’hyperlaxité (HA) sur des critères cliniques (1). La prévalence est plus élevée dans la tranche d’âge 1-4 ans que dans les tranches d’âges 5- 10 ans et 11-15 ans. Les filles sont surreprésentées. Les études ad hoc ne prenant en compte que des enfants diagnostiqués hyperlaxes à l’occasion de complications ou du premier bilan de dépistage d’une maladie génétique ou neuromusculaire, et suivis pendant une période de 5 à 15 ans, voient le niveau d’ HA baisser avec l’âge (2) (figure 1). Figure 1. Hyperlaxité habituelle chez le jeune enfant Démarche diagnostique L’hyperlaxité (HA) est-elle cliniquement confirmée ? Le premier temps de la démarche diagnostique vise à confirmer l’hyperlaxité. Dans le cas d’une HA, il existe cependant des tests cliniques simples : en particulier le score de Beighton (3) qui permet de confirmer ou d’écarter le diagnostic. Il s’agit d’une série de 9 manœuvres cliniques (figure 2) cotant chacune pour 1 point. Figure 2. Évaluation du score de Beighton, selon 5 items (A, B, C, D, E). L’utilisation des 9 critères de Beighton (tableau 1) permet de définir chez l’adulte la notion d’HA généralisée pour un score ≥ 4. Deux études récentes mettent en doute la spécificité et la sensibilité de ce test et proposent un seuil de positivité différent selon l’âge, le sexe et l’ethnie (3,4). Une étude prospective portant sur 551 enfants de diverses écoles élémentaires néerlandaises (5), présumés en bonne santé, a été menée : plus de 35 % des enfants ont obtenu plus de 4/9 du score de Beighton. Une étude italienne (2) portant sur 284 jeunes enfants d’une moyenne d’âge de 3 ans, retrouve des chiffres sensiblement différents : 10 % des enfants sains ont un score ≥ 4 alors qu’en comparaison, 90 % des enfants porteurs d’une maladie génétique incluant l’HA avaient un score ≥ 6/9. Ainsi, chez l’enfant, il est maintenant communément admis qu’un score > 4 se retrouve fréquemment dans certaines formes d’HA localisée alors qu’un score ≥ 6 définira une HA généralisée (figure 2). Cette hyperlaxité est-elle isolée ou accompagnée de signes associés (6) ? Dans un second temps, un examen clinique ciblé est nécessaire avec un double objectif : préciser le caractère localisé ou généralisé de cette HA et identifier, parmi elles, les HA syndromiques. L’interrogatoire précise les antécédents familiaux squelettiques : anomalies thoraciques ou rachidiennes, affaissement des voûtes plantaires, épisodes récidivants d’entorses ou de fractures de complications cardiovasculaires ou oculaires la notion de douleurs articulaires, de fatigabilité notamment chez des sujets jeunes. L’examen locomoteur recherche une luxation congénitale de hanche, un pied-bot varus équin, des chutes et/ou entorses fréquentes témoignant d’une instabilité articulaire, un genu valgum, des luxations à répétition, un affaissement des voûtes plantaires. Sur le plan dermatologique, l’hyperextensibilité cutanée s’apprécie par une étirabilité de la peau au-delà des limites de la normale, notamment au niveau de la face antérieure (en position anatomique) des avant-bras et des faces latérales du cou. La texture de la peau est veloutée et douce, en particulier au niveau des paumes de mains. On peut remarquer des ecchymoses, des contusions, une fragilité cutanée, un retard de cicatrisation, des cicatrices dystrophiques, des vergetures, un réseau veineux sous-cutané trop visible. L’examen neurologique pourra aussi rechercher une anomalie neuromusculaire, des troubles de la proprioception et de l’équilibre, ainsi qu’un syndrome dysautonomique. Hypermobilités articulaires (HA) généralisées Les HA syndromiques (7) La base de données française des maladies rares (Orphanet) indique 139 maladies ou syndromes incluant la présence d’une HA. Certains syndromes sont fréquents comme la trisomie 21, l’ostéogenèse imparfaite, la cutislaxa, etc. Dans la plupart des cas, cette hyperlaxité n’est pas isolée ; elle ne fait pas découvrir le diagnostic et sa prise en charge est intégrée à celle de l’ensemble des signes cliniques du syndrome. Deux syndromes peuvent se révéler par une HA symptomatique ou non et doivent être d’emblée évoqués : le syndrome d’Ehlers-Danlos et le syndrome de Marfan. L’hyperlaxité est-elle évocatrice d’un syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) (8,9) ? Les SED sont des maladies héréditaires du tissu conjonctif, de transmission génétique le plus souvent autosomique dominante, affectant la biosynthèse et/ou la structure des collagènes. Il en existe plusieurs formes cliniques. L’examen clinique focalisé sur le système locomoteur, la peau, le système nerveux et l’étude de la douleur peut permettre de distinguer une HA physiologique d’une autre dans le cadre d’un SED. L’existence d’antécédents familiaux est un argument additionnel en faveur du diagnostic, même si 50 % des cas sont dus à des mutations de novo. Ils sont dus à des anomalies de la bio-synthèse et/ou de la structure de protéines de la matrice extracellulaire. Leur prévalence est estimée à 1 / 5 000. Une classification actualisée avec 13 types de SED (répartis en 7 groupes pathogéniques) a été publiée en 2017 et fait désormais référence (tableau 2). Elle remplace la classification de Villefranche qui était utilisée depuis 1998. Il est important de distinguer les différents types de SED, car ils n’exposent pas aux mêmes complications et leur pronostic est donc différent. Le diagnostic de chaque type de SED repose sur des critères définis par un consortium international. Le SED hypermobile est le type le plus fréquent. Ses bases physio-pathologiques ne sont pas encore identifiées. Il semble se transmettre sur le mode autosomique dominant et être plus fréquent dans le sexe féminin. Il se manifeste par une HA généralisée (figure 1), des entorses et des (sub)luxations à répétition et un tableau douloureux chronique retentissant sur la qualité de vie (limitation des capacités physiques). Son diagnostic peut être difficile, basé essentiellement sur un faisceau d’arguments cliniques (HA généralisée, instabilité articulaire, douleurs diffuses, asthénie) en l’absence de test génétique, puisque aucun gène n’a encore été identifié dans cette forme clinique. Le développement récent du séquençage massivement parallèle pourrait permettre d’identifier un ou plus vraisemblablement plusieurs gènes dans les prochaines années. Il existe dans la littérature une controverse sur la définition du SED hypermobile, certains auteurs utilisant des critères diagnostiques stricts comme présentés dans la nosologie de Villefranche, d’autres auteurs privilégiant l’hypothèse d’un continuum clinique avec le syndrome d’hypermobilité articulaire (en anglais Joint Hypermobility Syndrome, JHS) dont la fréquence élevée (estimée à 0,2 à 1 % de la population) pourrait faire reconsidérer l’appartenance de cette affection aux maladies rares. Le SED classique. Il est dû à une mutation dans un des gènes du collagène 5. Il se manifeste par une HA généralisée et une atteinte cutanée caractéristique : peau douce et veloutée, hyperextensible, fragile, hématomes, cicatrices papyracées atrophiques, pseudotumeursmolluscoïdes. Le SED cyphoscoliotique. De transmission autosomique récessive, il est responsable d’une hypotonie musculaire congénitale, d’une cyphoscoliose congénitale sévère, d’une HA et expose à des complications artérielles. Il est dû soit à un déficit en lysyl-hydroxylase 1 (associé à des cicatrices atrophiques et une fragilité oculaire pouvant aller du décollement de rétine à la rupture du globe), soit à des mutations du gène FKBP14 (associé alors à une surdité congénitale et une atrophie musculaire). Le SED arthrochalasique. Il est dû à des mutations dans les gènes du collagène 1. Les patients présentent une histoire de luxation congénitale des hanches, une HA compliquée d’entorses et de luxations, une peau fragile et hyperextensible avec des cicatrices atrophiques, une hypotonie musculaire et une cyphoscoliose. Une possible exception à cette règle est représentée par les enfants présentant un phénotype évoquant un syndrome d’Ehlers-Danlos mais en association avec une microdélétion 6q27 qui peut être détectée par CGH array, examen complémentaire de première intention chez les patients présentant un phénotype de SED en association avec une déficience intellectuelle. L’HA est-elle évocatrice d’un syndrome de Marfan (MFS) (11-13) ? Le syndrome de Marfan (MFS) est une maladie autosomique dominante de diagnostic difficile, sa prévalence estimée est autour de 1/5 000 individus. Des groupes d’experts (Berlin, Gand) ont établi des critères diagnostiques basés sur des signes cliniques majeurs et/ou mineurs et l’identification de l’anomalie moléculaire. Les symptômes peuvent apparaître à tout âge et sont très variables d’une personne à l’autre, y compris dans une même famille. L’atteinte cardiovasculaire se caractérise par 1) une dilatation progressive de l’aorte s
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
Pagination
- Page 1
- Page suivante